• La grande et belle histoire de la petite sorcière du Devonshire

    Texte : Insulae

    Illustration : A faire

     

     

    Dudley Dursley était quelqu'un d'assez banal. Il n'était plus aussi gros qu'il avait pu l'être (et définitivement plus aussi haut que large), mais il n'était pas très fin non plus. Il n'était pas très riche, mais il n'était pas très pauvre, pas très drôle mais pas trop rasoir, pas très intelligent mais pas si idiot, pas très gentil mais plus très méchant. La seule chose exceptionnelle dans la vie de Dudley Dursley, à ses yeux, c'était sa femme Debby.

    Ils s'étaient rencontrés peu après qu'il ait quitté la Grunnings, qui lui revenait pourtant de droit puisque son père avait succombé à une crise cardiaque, et qu'il se soit lancé dans la pâtisserie. Sa mère avait failli en faire une attaque elle aussi - son fils était fantastique, il ne pouvait pas être un simple commerçant, pas son Dudlichounet d'amour ! - mais elle avait du accepter les faits : Dudley Dursley serait pâtissier. De toutes façons, depuis que le magasin tournait à plein régime, Pétunia ne cessait de se vanter, auprès de ses amies, que c'était elle qui lui avait donné l'amour des bonnes choses et de fourneaux.

    C'était dans sa pâtisserie que Dudley avait rencontré Debby, une jeune professeur d'arts plastiques qui faisait du baby-sitting pour joindre les deux bouts. Elle était entrée avec une ribambelle d'enfants, et Dudley s'était aussitôt dit qu'il était bien dommage qu'une femme comme elle soit déjà mère et mariée. Heureusement pour lui, ce n'était pas le cas, et il la fit rougir en lui offrant des macarons supplémentaires.

    Elle était revenue le lendemain. Et le surlendemain. Et le jour d'après. Inlassablement, avec ou sans les enfants, elle venait acheter deux macarons, un à la fraise, l'autre au citron. Et à chaque fois, Dudley l'attendait. Ils se marièrent deux ans plus tard, à la mairie de Privet Drive, et la pièce montée, toute de macarons roses et jaunes, devait rester, aux yeux du marié, la plus belle de toutes ses créations.

    Au début, ce ne fut pas toujours facile. Quand Debby fut envoyée loin de Privet Drive, dans le Devonshire, Dudley et elle ne se parlèrent plus pendant trois mois. Elle était partie en pleurs, laissant une grande partie de ses affaires derrière elle, puis, un jour, en sortant de l'école, elle le vit, adossé à un camion de déménagement, l'air penaud, une boîte de macarons à la main. Il avait trouvé un petit appartement au dessus de ce qui deviendrait bientôt le Debby & Dudley Dursley's Devonshire Den, une petite pâtisserie renommée dans les environs, où toutes les mères venaient prendre le thé en attendant que leurs enfants aient fini leurs cours de piano ou de danse.

    Deux ans plus tard, Debby posa les mains sur son ventre, les larmes aux yeux, et annonça à son mari qu'ils allaient bientôt devoir aménager une petite chambre d'enfant dans leur appartement. Dudley s'évanouit, se réveilla, voulut déboucher une bouteille de champagne, se ravisa en interdisant gentiment à sa femme de boire pendant neuf mois, puis il acheta l'étage au-dessus de leur appartement pour que leur famille puisse s'agrandir encore.

    Dahlia Dursley naquit le 19 mars 2007. C'était une petite fille aux cheveux blonds comme ceux de son père, mais avec les grands yeux noirs de sa mère. Elle était absolument adorable, et pas uniquement aux yeux de ses parents, ou de sa grand-mère paternelle : tout le monde dans le quartier ne pouvait s'empêcher de babiller devant les joues bien rondes de Dahlia, qui regardait tout autour d'elle avec curiosité, suspendue au torse de son père dans un porte bébé bleu ciel. C'était un spectacle à voir, le père et la fille derrière le comptoir, évoluant ensemble entre les choux à la crème et les macarons à la fraise !

    Dahlia grandit ainsi, entre tartelettes et dessins, entre son père à l'amour hésitant et sa mère à l'exubérance folle. Elle commença la guitare à l'âge de cinq ans, la natation à sept, et le judo à huit. Debby l'accompagnait à l'école tous les matins, et Dudley la récupérait tous les soirs, un paquet de chouquettes à la main. Ses anniversaires étaient attendus par tous ses camarades de classe, autant pour le beau gâteau qu'elle avait chaque année que pour la piñata colorée qui était inlassablement suspendue devant la boutique et qui regorgeait de bonbons.

    La seule chose que Dudley trouvait étrange, chez sa fille, mais que Debby appelait son petit grain de folie, c'était sa capacité à vivre des choses extraordinaires, en plein cœur de leur petit village ordinaire, comme la fois où avait réussi à grimper en haut d'un arbre immense et à en redescendre, un petit chat gris dans les bras, le tout sans une seule égratignure. Le miaou, comme elle l'avait appelé à l'époque, n'appartenait à personne, personne ne savait comment Dahlia avait pu le voir alors qu'elle se trouvait en bas du chêne - et personne ne comprenait non plus comment elle avait pu monter sur l'arbre centenaire sans échelle. Trois ans plus tard, le chat était toujours là, chez eux, dans l'appartement, avec un petit collier bleu autour du cou, et étonnamment, c'était le seul félin qui ne provoquait pas, chez Debby, de réaction allergique.

    C'était d'ailleurs pour le chat qu'ils se trouvaient en dehors de leur ville : il fallait le castrer, et Dahlia, du haut de ses neuf ans, tenait fermement Miaou dans ses bras pour le rassurer. Elle n'avait pas beaucoup apprécié l'idée qu'on allait retirer un petit bout de son chat, mais sa mère avait réussi à la convaincre que c'était pour le mieux. Par une belle matinée de mai, ils avaient donc pris leur voiture et avaient roulé jusqu'à la clinique.

    Dans la salle d'attente, les trois Dursley s'installèrent sur des chaises, et Dahlia serra son chat dans ses bras. Contrairement à la croyance populaire, Miaou ne se refusait jamais aux caresses de ses maîtres - et surtout pas à celles de sa petite héroïne.

    - Dudley Dursley ! appela la secrétaire. Une seule personne est autorisée à entrer avec l'animal, précisa-t-elle en voyant toute la famille se lever. Un adulte.

    Debby et Dudley échangèrent un regard, puis la jeune femme secoua la tête : elle préférait rester avec Dahlia que de suivre Miaou dans le bloc opératoire, surtout avec sa deuxième grossesse qui lui rendait l'estomac fragile. La mère et la fille se rassirent donc dans le calme, tandis que le père disparaissait derrière la porte.

    Soudain, alors qu'il venait de confier son chat à un vétérinaire, Dudley entendit un grand bruit qui venait de la salle d'attente, et ses yeux se rivèrent sur la porte. Quelque chose ne tournait pas rond, mais... Un grand cri lui glaça le sang - il venait de reconnaître la voix de sa fille. Sans réfléchir, il revint sur ses pas et débarqua dans la pièce prêt à défendre sa famille quand...

    -Harry ?!

    -Dudley ?!

    Les deux cousins se regardèrent, ébahis. Harry n'avait pas beaucoup changé depuis la dernière fois que Dudley l'avait vu, à l'enterrement de Vernon. Il avait peut-être une petite ride en plus au coin de l'œil, mais son regard vert restait vif. Il tenait sa baguette de la main droite et un homme gisait à ses pieds, inconscient.

    -Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda le sorcier, abasourdi.

    -Je viens faire castrer mon chat, répondit mécaniquement Dudley. Avec ma femme et ma fille.

    -Ta femme et ta fille ?

    La nouvelle eut l'air d'étonner Harry plus que la présence même de son cousin, et Dudley fit semblant de ne pas s'en apercevoir - après tout, lui même n'en revenait toujours pas, après douze ans de mariage. Il préféra se tourner vers le coin où étaient assis la femme et l'enfant susmentionnées pour les présenter à...

    -Debby !

    La professeur d'art était affalée sur le siège, endormie. Dudley prit soudain conscience de l'état dans lequel se trouvait la salle d'attente : c'était un véritable champ de bataille. Toutes les personnes qui patientaient silencieusement quelques minutes plus tôt étaient tombées dans les bras de Morphée, et si certains avaient pu garder leur siège sous leur postérieur, d'autres n'avaient pas eu cette chance. Un énorme trou dans l'un des murs permettait d'admirer la ville, cinq étages plus bas, et toutes les vitres semblaient avoir été soufflées par une explosion. Et cet homme, aux pieds de Harry, couvert de sang...

    -Où est Dahlia ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

    -Wolf von Wienk, voilà ce qu'il s'est passé. C'est un criminel qui a failli nous filer entre les doigts, marmonna Harry, en se pinçant l'arrête du nez, déjà fatigué - de tous les Moldus qui auraient pu se trouver ici, il fallait qu'il tombe sur son cousin. Il est venu se réfugier ici, on l'a suivi, et quand on est arrivés... La salle était déjà dans cet état.

    -Et Dahlia ? redemanda le pâtissier d'une voix hachée.

    Harry le regarda avec des yeux ronds, incapable de comprendre de quoi Dudley parlait.

    -Dahlia, ma fille ! s'énerva le Moldu. Des yeux blonds, des cheveux noirs... Non, l'inverse ! se corrigea-t-il. Elle était là, avec Debby !

    L'Auror regarda la chaise où dormait la brunette - la femme de Dudley, apparemment, même si le concept lui semblait un peu étrange - et il comprit.

    -La sorcière...

    -Pardon ?!

    -Ta fille - Dahlia, soupira Harry. C'est une sorcière. Et drôlement puissante avec ça. C'est elle qui tout fait exploser quand le criminel est arrivé. On a du endormir toutes les autres personnes ici pour rectifier ça. J'ai deux Oubliators qui vont arriver d'une minute à l'autre pour tout remettre en ordre. Dahlia est avec mon adjointe, la Seconde Giulia Zabini, qui est en train de tout lui expliquer.

    -Je peux la voir ?

    Harry hocha la tête, et appela sa Seconde, qui passa la tête par la porte d'entrée, et jeta un coup d'œil interrogateur à son supérieur.

    -Giulia, je te présente mon cousin. C'est le père de Dahlia.

    -Papa ?

    Une petite voix se fit entendre depuis le couloir, et une seconde plus tard, une masse de boucles blondes disparaissait entre les bras de Dudley Dursley. Harry regarda d'un œil incrédule le père et la fille. Décidément, il ne se ferait jamais à cette idée...

    -Hum, si ça ne te dérange pas, il faudrait que tu ailles dehors avec Dahlia, annonça l'Auror, on a encore quelques questions à lui poser... Pour le rapport. Et il faudra qu'on discute un peu après.

    -Je crois qu'une discussion s'impose en effet, souffla Dudley, hésitant, avant de retourner dans le couloir, la main de sa Dahlia adorée dans la sienne.

    -Papa, papa, racontait déjà l'enfant, enthousiaste, madame Giulia a dit que j'étais une sorcière parce que je pouvais faire de la magie, et elle a fait apparaître des petits oiseaux tout à l'heure avec une baguette, et elle a dit que quand j'aurais onze ans, j'en aurais une aussi et que j'irai dans une école avec un nom bizarre...

    -Poudlard, souffla Dudley, ébahi.

    -Poudlard, Poudlard, Poudlard ! répéta Dahlia avant d'éclater de rire. C'est drôle comme nom, pas vrai papa ? Madame Giulia m'a dit que c'était un très grand château avec un lac et un jardin et une forêt et des tours... Tu te rends compte, papa ? Je vais vivre dans un château comme Rebelle !

    Dudley laissa échapper un petit rire aigre quand sa fille fit référence à son Disney favori : lui ne serait même pas étonné s'il arrivait à des élèves de Poudlard d'être transformés en ours en un clin d'œil. Après tout, lui-même s'était retrouvé avec une queue de cochon à l'âge de onze ans - un souvenir qu'il préférait toujours reléguer dans les tréfonds de sa mémoire.

    -Comme Rebelle, répéta-t-il en se laissant entraîner à l'extérieur de la salle d'attente.

    Harry regarda son cousin sortir, et ferma les yeux. En un sens, c'était une bonne chose qu'il ait été le Premier Auror en charge des urgences ce matin, car sans cela, Dudley aurait probablement été moins réceptif - ou moins choqué. Après une profonde inspiration, il laissa échapper un petit sourire amusé en pensant à la réaction qu'auraient sa femme et ses meilleurs amis quand il leur annoncerait la nouvelle...

    Il avait juste oublié qu'ils ne seraient pas les seuls que cela surprendrait, et c'est le rire franc de Dudley qui l'accompagna tandis qu'il avançait dans la petite allée qui menait jusqu'à la porte d'entrée du 4 Privet Drive.

    -Allez Harry, se moqua son cousin, maman ne va pas te manger ! Je suis sûre qu'elle sera ravie d'apprendre que sa petite-fille est une sorcière !

    Harry déglutit, et finit par toquer à la porte, qui s'ouvrit quelques minutes plus tard. Devant lui se tenait une petite femme aux cheveux gris, dont les épaules voûtées soutenaient un cou très long, et toujours aussi utile quand il s'agissait d'espionner les voisins. Tante Pétunia lui semblait mille fois plus vieille que le jour de l'enterrement de Vernon.

    -Harry ?!

    Le sorcier se mit à bafouiller, et Dudley ricana légèrement avant de lui passer devant, une boîte à gâteau entre les mains. Aussitôt, le visage de sa mère s'éclaira :

    -Dudlichounet ! Tu m'as manqué ! Comment va Dahlia ? Et Debby ? Et la boutique ? On a eu un temps affreux ces derniers jours, tu n'imagines même pas...

    Et dans un babil constant, les Dursley passèrent le pas de la porte pour rejoindre le salon, tandis que Harry resta derrière pendant quelques instants, interdit. Il n'était pas venu ici depuis le 27 juillet 1997, la nuit de la bataille des sept Potter.

    -Tu veux du thé ?

    La voix de Dudley le sortit de ses pensées, et il regarda son cousin qui lui souriait depuis le couloir avant d'acquiescer.

    -Maman t'attend dans le salon. Et Harry...

    -Mmh ?

    -J'ai changé, souffla le Moldu d'une petite voix. Maman aussi. Prends pas une tête de grand blessé de guerre qui retourne sur le champ de bataille, on va pas t'enfermer dans le placard sous l'escalier. De toute façon, ajouta-t-il en le dévisageant de la tête aux pieds, tu es un peu trop grand pour ça.

    Harry laissa échapper un petit rire et alla s'asseoir en face de sa tante, à peine plus détendu. Pour le moment, Pétunia n'avait pas l'air de lui en vouloir.

    -Comment ça va ? demanda-t-il, presque hésitant.

    -Bien, répondit la vieille femme, visiblement mal à l'aise. Et... Et toi ?

    -Bien, répéta Harry.

    -Tu... La guerre... C'est fini, pas vrai ? Vous avez gagné ?

    -Oui, répondit l'Auror après une seconde d'hésitation. C'est fini depuis longtemps.

    -Et celui a qui... qui a tué Lily ? Vol... quelque chose ?

    -Voldemort ?

    Le nom résonna étrangement dans la pièce, et Harry en fut agréablement surpris - cela faisait longtemps qu'il ne l'avait plus prononcé en dehors des discours qu'il faisait parfois, lors des anniversaires de la victoire du deux mai.

    -Je l'ai tué, finit-il par déclarer, et à ces mots, un très léger sourire apparut sur les lèvres de Tante Pétunia, si discret, si petit, si infime, que Harry faillit le manquer.

    -Lily t'aimait beaucoup, tu sais, déclara Pétunia dans un murmure après quelques minutes de silence. Elle m'avait envoyé une carte quand tu es né... Tu étais tout rouge sur la photo, tout fripé.

    Harry se demanda soudain si tout le monde devenait aussi sentimental et sensible en vieillissant. Peut-être que quand on se retrouvait tout seul, tout à coup, on se raccrochait aux personnes qu'on avait pu aimer dans le passé. La crise cardiaque de Vernon avait été foudroyante, surprenant tout le monde autour de lui, et Pétunia n'avait jamais eu beaucoup d'amis en dehors de ceux de son mari. Elle avait du se sentir très seule.

    La bouilloire de la cuisine se mit à siffler, et Harry vit bientôt Dudley entrer dans le petit salon, un plateau à la main, chargé de tasses et de scones, et de la grande théière bleue en porcelaine que Vernon avait offert à sa femme pour leur quinzième anniversaire de mariage, et que Harry avait cassé quand il avait huit ans - mais qui s'était mystérieusement réparée avant que Pétunia ne s'aperçoive de l'affront.

    -Alors, Harry, qu'est-ce que tu deviens ? demanda poliment la vieille femme en servant le thé.

    -Eh bien... Je me suis marié, commença maladroitement l'Auror. Je suis... Je suis quelque chose comme un chef dans la police chez les sorciers. J'ai trois enfants.

    -Comment est-ce qu'ils s'appellent ? continua sa tante en distribuant les tasses.

    -James, cita Harry - Pétunia grimaça légèrement en entendant le premier nom, Albus, continua-t-il malgré tout - Pétunia fronça les sourcils, et Lily.

    Pétunia se figea.

    -Lily, répéta-t-elle. Au moins, ta fille porte un nom de fleur. Comme Dahlia.

    -Justement, bredouilla Harry, propos de Dahlia...

    -C'est une sorcière, le coupa Dudley.

    Pétunia lâcha sa tasse, qui s'écrasa sur la moquette, et dévisagea son fils avec des yeux ronds, comme pour chercher la confirmation de ce qu'il venait de lui annoncer.

    -J'espère qu'elle ne transformera pas de tasse en crapauds, souffla-t-elle d'une voix faible.


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